Source BDM

Peut-on utiliser des images générées par IA pour son entreprise ?

Pierre Pérot, avocat expert en propriété intellectuelle, nous apporte son éclairage autour des images générées par des outils comme Midjourney, DALL-E ou Adobe Firefly.

Voici des exemples d’images générées par IA. © Midjourney
Guests profil picture

Pierre Pérot, avocat senior au sein du cabinet August Debouzy

Pierre Pérot évolue au sein de l’équipe Propriété intellectuelle, média et art. Il accompagne des clients sur toutes les questions liées au droit des marques, des dessins et modèles, du droit d’auteur, mais aussi sur l’intelligence artificielle générative, sujet sur lequel il a écrit différents articles. Il est doté d’une solide expérience contentieuse, tant dans le cadre de litiges nationaux que multi-juridictionnels, ainsi qu’auprès des offices français et européens.

Quelle est la situation juridique actuelle en matière de droit d’auteur sur les images générées par IA ?

En l’absence de règles spécifiques, les règles de droit commun s’appliquent aux créations générées par IA. Or, le droit d’auteur n’exclut pas, par principe, la protection de ces créations.

Une distinction fondamentale doit être faite entre « œuvres générées exclusivement par IA » et « œuvres dont la création a été assistée par IA ». Dans le premier cas, on peut douter du caractère protégeable de ces créations en l’absence de toute intervention humaine, qui rendra impossible la caractérisation de l’originalité (empreinte de la personnalité de l’auteur). Pour les œuvres dont la création a été assistée par IA, il appartiendra à l’auteur de démontrer l’ensemble des interventions humaines ayant conduit à la création finale (précision des prompts et modifications ultérieures du contenu généré par IA [output] pour aboutir à la création finale). Le défi sera ainsi d’ordre probatoire.

Par ailleurs, il conviendra de vérifier les conditions générales du système d’IA utilisé, qui règlementent la question de la titularité du contenu généré. Il est ainsi impératif de s’assurer au préalable d’une propriété totale de l’utilisateur sur l’output, avant toute diffusion d’un contenu généré par IA.

Une entreprise peut-elle utiliser une image générée par IA pour un usage commercial ? Si oui, sous quelles conditions ?

Oui, sauf bien entendu si les conditions applicables au générateur d’images utilisé interdisent un tel usage commercial de l’output, ce qu’il convient de vérifier en amont. Les entreprises restent, a priori, libres de pouvoir faire usage des contenus générés par IA, tout en conservant l’entière responsabilité attachée à la diffusion du contenu.

Que l’usage soit réalisé à des fins commerciales ou non, il appartient à l’entreprise souhaitant faire utilisation du contenu généré par IA de s’assurer du respect des droits de tiers, notamment les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, marque) ou les droits de la personnalité (l’image, le nom ou la voix).

Avec le projet de règlement européen sur l’IA, qui est encore en cours de discussion, les entreprises faisant un usage d’un contenu généré par IA devront également faire preuve de transparence et informer le public que le contenu diffusé a été généré ou manipulé par un outil d’IA. Il est à noter qu’une telle obligation de transparence existe déjà en France en matière d’influence commerciale, pour les communications comprenant des images représentant des visages ou silhouettes produites par des procédés d’IA.

Les images générées par des systèmes d’IA nourris par des banques d’images, comme Adobe Firefly entraîné sur Adobe Stock, peuvent-elles être utilisées par les entreprises sans risques ?

Le risque zéro n’existe jamais. Une image générée par un système d’IA peut, comme n’importe quelle autre création humaine, porter atteinte à des droits de tiers. C’est pour cette raison qu’il est primordial d’assurer un contrôle sur le contenu généré par IA, afin de limiter les risques de voir la responsabilité de l’entreprise engagée.

Certains fournisseurs d’IA mettent en place des garanties « anti-contrefaçon » qui visent, non pas à assurer l’absence de réclamation de la part de tiers, mais à prévoir une garantie d’indemnisation en cas de réclamation portant sur un contenu généré par IA. Ces garanties sont soumises à des conditions très spécifiques, qu’il convient de vérifier en amont de toute utilisation.

Quels conseils donneriez-vous aux professionnels pour éviter les problèmes de droit d’auteur liés à l’utilisation d’images générées par IA ?

Les conseils à donner en la matière ne sont pas différents de ceux applicables à toute création artistique, ils doivent simplement être appliqués avec davantage de vigueur.

En amont, il convient de veiller à ne pas incorporer au sein des prompts de données personnelles, confidentielles ou stratégiques de l’entreprise, qui pourraient se retrouver incluses dans le contenu final.

Il s’agit, ensuite, de documenter l’ensemble du processus de création, ce qui permettra de justifier de l’existence de droits d’auteur sur la création générée à l’aide d’un système d’IA. Bien entendu aussi, l’IA générative devra être utilisée dans le respect des droits de tiers, afin de limiter le risque de réclamation.

Il importe enfin de ne pas utiliser telle quelle une création générée par IA, sans avoir procédé aux vérifications habituelles de son caractère licite auprès des interlocuteurs juridiques de l’entreprise.

Dans le cadre de votre travail, avez-vous déjà eu des cas concrets de litiges concernant des contenus générés par IA ?

Il n’existe, pour l’instant, pas de jurisprudence rendue en matière d’IA générative en France. Les principaux travaux qui m’ont été confiés pour l’instant concernent un travail préparatoire de formation des entreprises aux problématiques juridiques posées par les systèmes d’IA génératives (directions de la communication et juridique, notamment). J’interviens régulièrement, avec l’appui des autres départements du cabinet, sur la rédaction de chartes internes et de codes de conduite d’entreprise, visant à sensibiliser les collaborateurs aux risques résultant de ces outils et encadrer l’usage de l’IA en interne. L’adaptation des contrats passés avec les prestataires dans le secteur de la création est également un chantier majeur pour les entreprises.

Quelles sont les sanctions encourues en cas d’utilisation non autorisée d’une image générée par IA ?

Les sanctions peuvent concerner la violation de droits de tiers (contrefaçon ou concurrence déloyale/parasitisme) ou le manquement contractuel de l’utilisateur du système d’IA (violation des conditions générales de la plateforme proposant le système d’IA).

Le risque lié à une action en contrefaçon peut conduire à une condamnation à verser des dommages et intérêts au titulaire de droit, au regard du préjudice subi (économique ou moral).

Il existe aussi des sanctions pénales, rarement prononcées, qui peuvent aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (1 500 000 euros pour les personnes morales).